dimanche 23 octobre 2016

Où sont passés les tuyaux ?




  En 1827, le maire de Nevers, M. de Bouille, entreprend -pour des raisons surtout électoralistes, semble-t-il - ( il faut faire comme Paris ou Londres )de doter la ville d'un système de distribution d'eau . Il promet à ses administrés de leur   fournir 600 m3 d'eau de Loire par jour à raison de 10 litres par habitant et de 30 litres par cheval de la garnison, alors basée place de la Résistance.


  Une machine à vapeur censée délivrer 12 CV doit refouler l'eau jusqu'à un réservoir d'une capacité de 650 m3, situé à 32 mètres au-dessus de la Loire, d'où elle s'écoule par gravité.

plan du bâtiment de la pompe à feu





 La "première pierre" de ce réservoir est posée en juillet 1830  par la Duchesse d'Angoulême, seule enfant survivant de Louis XVI.  L'installation est  adossée à un batiment situé à l'emplacement  l'actuel Hôtel de Ville, dans ce qui deviendra la rue Sabatier .

Le chateau d'eau sur un plan de 1839

 dessin du château d'eau de la rue Sabatier, tel qu'il aurait dû être.




     De fait, le réservoir, à la construction approximative, reste  inachevé . Il faut sans cesse le réparer et colmater les fuites. Les statues représentant la Loire, la Nièvre ou d'autres cours d'eau logées dans les niches aménagées sur sa façade ne sont jamais réalisées.   Le bâtiment est démoli en 1862 .
 
 La tuyauterie  d'amenée  passe sur le Pont de Gêne  , un ouvrage en charpente  enjambant la gare -à bateaux-  de la Nièvre,  et bâti en 1829 spécialement pour cet usage .( Il était dénommé « pont de Gêne» car sa structure représentait une contrainte pour les mariniers.)
 L'eau  emprunte ensuite la rue Casse-Cou,  croise celles des Ratoires, de la Parcheminerie, des Sept-Prêtres, de l'Évêché, de la Basilique et la place de l'Hôtel-de-Ville.  L'installation est achevée en 1830, pour une dépense plus de 250 000 francs. La machine à vapeur (appelée "pompe à feu") est implantée quai de Médine.

le "pont de gêne" traverse l'embouchure de la Nièvre au droit de la pompe (1856)

vue "aérienne" de 1848 , 

avec la pompe à feu et le "pont de gêne"


  Le système de distribution ne fonctionne pas comme prévu :  la pompe à feu manque de puissance  et n'est guère fiable, elle enfume le voisinage, et la couverture du réseau de distribution est  insuffisante : les hospices, la caserne et quelques établissements sont alimentés, tandis que des quartiers entiers doivent continuer à utiliser des puits . En 1842, on étend le réseau : vingt bornes fontaines sont installées, mais une grande partie de la ville (y compris l'abattoir) ne sont toujours  pas raccordés. L'eau, pompée en aval des  bateaux-lavoirs et  au confluent avec la Nièvre, véritable égout à ciel ouvert, est de mauvaise qualité bactériologique. Boueuse en hiver, trop chaude en été, elle souffre d'une épuration rudimentaire. Les bourgeois qui utilisent cette eau ont en général chez eux un système de filtres à charbon individuel pour au moins assurer la "transparence" de l'eau servie à table.

   En 1849 on se met en tête de venir chercher l'eau des fontaines de Veninges et des Bouillons  (rue de l'Aiguillon ). Les eaux de sources sont réputées meilleures que celle du fleuve, mais leur débit a été surestimé par les ingénieurs, et elles sont elles-mêmes polluées par les déjections des élevages : il faut donc  continuer à utiliser la vieille pompe de Loire du quai de Médine. qui  n'a pas pour autant  été abandonnée... Les microbes de toutes sortes se déchainent, surtout lors des épidémies de choléra de 1834, 1849 et 1884.  Il faut attendre la toute fin du 19ème siècle ( à Paris en 1887 ) et les travaux  de microbiologie de Pasteur et de ses homologues établissant officiellement chez les "décideurs"  le lien entre  les maladies comme le choléra ou la fièvre typhoïde et l'infection bactérienne des eaux, et  non pas avec les "miasmes aériens"  
ou les "changements de vents". Seuls les bourgeois aisés  disposants de systèmes  domestiqques de filtrage à charbon échappent en partie aux épidémies.

 A partir de 1851 , à l'arrivée du Chemin de Fer à Nevers,  la ville  prête la pompe à feu à la Compagnie du Chemin de fer du Centre (puis au P.L.M) ,qui s'engage  à vendre toute l'eau nécessaire  à la ville  (jusqu'à 500 m3) au prix de 9 c. le m3. En 1859 le P.L.M. construira ses propres installations en pompant l'eau directement dans la Loire au niveau du viaduc, rive droite. 


   En 1857, la ville décide de réaliser de nouvelles installations.  Le réseau comprend alors seulement 4 kilomètres de tuyauterie dont 1km de tuyaux fonte de 13.5 cm , 2000M de 7,5cm et le reste en tuyaux de plomb de 4 et 3 cm.

 En 1860, une usine élévatoire à vapeur  deux fois plus puissante est mise en service sur la rive gauche de la Loire au Plateau de la Bonne -Dame, à l'abri de la digue  construite après la crue de 1856.
  L'eau pompée dans un filtre est projetée dans un tuyau qui traverse le pont de Loire, les rues Saint-Genest, du Midi, de la Gare, et parvient enfin au réservoir Saint-Gildard.


L'emplacement de l'usine élévatoire sur un plan de 1874

et sur un plan de 1890





on aperçoit l'usine à droite sur cette vue du début du XXème siècle




Cloche filtrante installée dans les bancs de sable.



    A cent cinquante mètres au-dessous du pont de Loire dans le banc de sable qui longe la digue, sur une base en maçonnerie solide, posée sur le fond rocheux  on a construit  un cylindre en fonte percé de trous, à  sommet  en coupole de cinq mètres de diamètre encore visible aujourd'hui ( le niveau du sable ayant entre temps baissé de environ 1,5m). L'appareil est enveloppé d'un manchon de gros cailloux, puis d'un second de gros gravier, puis d'un autre de graviers fins, et le tout se trouve immergé dans le banc de sable. Les cailloux retiennent le gros gravier, celui-ci le gravier moyen, ce dernier empêchant la pénétration des sables fins, et c'est à travers ces couches multiples que se fait la filtration de l'eau.


 



Le réservoir Saint-Gildard





   De l'usine élévatoire, arrêtée en 1922, ne subsiste que ce modeste bâtiment. ( la résidence du gardien). Pour se faire une idée de l'usine dans son ensemble, on peut se référer  à quelques cartes postales où elle apparait en arrière plan.


Une vue de l'usine en arrière-plan de la plage de Nevers dans les années 30


  Toute cette  technologie  ne permet toutefois pas de fournir l'eau partout et à tous les étages. En 1886, pour augmenter la pression dans le réseau, on projette d'installer une deuxième machine à vapeur, une conduite d'aspiration passant de 20 à 30 cm de diamètre et un réservoir supplémentaire  en béton installé aux Montapins, alimenté par une conduite posée dans la lit de la Loire.


1887: projet de canalisation enfouie dans le lit de la Loire vers le réservoir

 des Montapins ( archives de la Nièvre)

   Les travaux  estimés à 168 000 francs sont votés par le Conseil municipal, mais ne sont pas entièrement effectués, apparemment en raison d'obstacles contractuels avec le concessionnaire du réseau. 

  

Les restes des canalisations se dirigeant vers la rive droite de la Loire

 

 
A Nevers, les conduites sont, d'abord, en plomb, en fonte avec joints de plomb, puis en fer système Chameroy et, après, 1914, en acier.

  Les canalisations prévues pour alimenter le réservoir des Montapins sont réalisées selon le procédé Chameroy: de la tole de fer étamée intérieurement  est soudée  en hélice et recouverte d'une couche de un à deux centimètres de bitume, elle même retenue par une sort de corde enroulée en hélice sur la tôle même du tuyau . Ceci pour l'isoler de la corrosion et de l'abrasion et permettre de la poser directement au sol en limitant les travaux de génie civil . Cette technique est très efficace: des milliers de km de ce type de conduites transportant le gaz et et l'eau  sont encore en service en région parisienne dans les années 2000.

Tuyau Chameroy: noter la soudure en hélice caractéristique


    Jusqu'en 1910 et la reprise du service en régie municipale directe  les eaux restent  de mauvaise qualité. Les fontaines de Veninges et de Jeunot (à Urzy  à 8 km de Nevers), toujours utilisées,  sont infectées par les effluents des étables, et  la nouvelle prise d'eau rive gauche est implantée   en aval de deux fabriques de gélatine, des bateaux-lavoirs, des égouts de Nevers, ainsi que de l'embouchure de la Nièvre, qui n'est pas plus propre qu'auparavant . Le réseau n'approvisionne que  8000 des 27000 habitants de Nevers.
Et jusqu'à cette date il est impossible d'imposer   aux usagers l'installation de compteurs ainsi qu'une facturation au mètre cube consommé.

  Il faudra attendre l'installation des zones de pompage du Peuplier Seul et surtout  l'amélioration progressive des procédés d'épuration  (d'abord par javellisation)  pour avoir à Nevers une eau à peu près saine.




3 commentaires:

  1. C'est une archive passionnante pour quelqu'un qui est un professionnel de l'eau.

    RépondreSupprimer
  2. Voilà une étude fort intéressante! Question subsidiaire: le gardien devait-il être "de petite taille", pour résider dans une si petite maison, qui rappellerait presque la maison de poupée adossée au choeur de l'église de la Charité?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La maison a une petite surface mais la hauteur est habituelle C'est d'ailleurs son occupant (de taille normale) qui m'a donné l'idée d'investiguer le sujet.

      Supprimer