Ici, on
allume des cigares cubains et la
nouvelle favorite de Monsieur le Maire a placardé sur sa poitrine nue la
photographie en couleurs du grand homme,
en plan américain, les bras levés en signe de victoire. Elle se colle aussi,
furtivement, contre bien des convives qui ne sauraient ni la saisir, ni la
repousser et ne peuvent décemment l’ignorer. Quand arrivera mon tour, que
devrai-je faire au contact de cet aimant fou qui ne m’appartient pas?
Dans les bureaux condamnés par la faillite météorique des
embryons d’empires technologiques, on parle, lors de chaque festivité, des épidémies
qui agitent notre siècle condamné à
recommencer à zéro.
Là-haut, chacun affecte de se sentir immunisé:
dans un étrange souci de moralité on se doit de boire dans des verres mis en commun, de
transmettre au hasard les germes pathogènes
par les plaies des gencives, dans les boissons fermentées qui repassent de main
en main. On prend plaisir à ne contaminer que les blessés et les faibles…
Ceux
qui sont aujourd’hui intacts le resteront ils tous, lorsque les fêtes
seront finies?
Maintenant, Monsieur le Maire m'exhorte à raconter encore
une fois ce que j'ai vu de situations identiques, à Londres et ses Docks
reconvertis, dans les cités affairistes de l'Asie qui grattent des cieux
impassibles, au pied des Twin-Towers qui ne font plus qu’une. A Sao Paulo où
des essaims d’hélicoptères partiellement blindés sautent d’un Condominium à
l’autre, en se faufilant souplement entre les balles traçantes surgies des
favelas. Je cite de mémoire les cités
oubliées de Chaldée et de l'Akkad affamées par la lente montée du sel dans leur
terre trop irriguée. Je suggère l’exode des Mayas délaissant leurs pyramides. Et
j’invite chacun à se moquer de Venise,
Venise qui a chaviré dans sa lagune, sous le poids des sicours amoureux, comme
entraînée par l’obésité de sa propre caricature.
Ici au moins, on assiste fièrement au basculement de la
vie entre la ville et la Centrale.
Dans les rues circulent des faux billets de
recommandation autorisant à jouir du spectacle et qui passent de main en main au gré du
marché noir .
On se complait dans cette projection futuriste des villes
qui nous sont proches, Chacun devient un
voyageur. Monsieur le Maire nous paye fort bien pour la description que nous
lui faisons des misères voisines. Dans la Salle des
Fêtes, les invités cherchent à se protéger à l'ombre de Monsieur le Maire, qui
boit de plus en plus vite des liquides de plus en plus chers. La favorite a un
verre plein dans chaque main. On s'est assis sur le toit et les premiers
corbeaux montent en bandes criardes depuis la ville.
L'électrophone tourne, le ventilateur tourne, les
turbines tournent dans la Centrale
alimentée en énergie par les
tonnes de documents abandonnés par la faillite universelle.
La nuit a vieilli. Monsieur le Maire ne va
pas tarder à s'écrouler sur un immense canapé italien, et c’est comme un
plongeon dans le vide, sous les applaudissements.
Un interrupteur s’ouvre, quelque part dans une des pièces du gratte-ciel. La Centrale cesse de
ronronner. Des lumières se rallument sur la ville.
Les corbeaux venus migrer ici se posent sur
le dos des fêtards et picorent à même
leur crane les résidus de la fête.
Chacun est revenu pour veiller sur l'image de la ville.
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