vendredi 10 mai 2019

Après la chute des cours

(FICTION:SUITE)

  Ici, on allume des cigares cubains  et la nouvelle favorite de Monsieur le Maire a placardé sur sa poitrine nue la photographie en couleurs  du grand homme, en plan américain, les bras levés en signe de victoire. Elle se colle aussi, furtivement, contre bien des convives qui ne sauraient ni la saisir, ni la repousser et ne peuvent décemment l’ignorer. Quand arrivera mon tour, que devrai-je faire  au contact de cet aimant fou  qui ne m’appartient pas?




            Dans les bureaux condamnés par la faillite météorique des embryons d’empires technologiques, on parle, lors de  chaque festivité,  des  épidémies qui agitent notre  siècle condamné à recommencer à zéro.  
  Là-haut, chacun affecte de se sentir immunisé: dans un étrange souci de  moralité  on se doit  de boire dans des verres mis en commun, de transmettre au hasard  les germes pathogènes par les plaies des gencives, dans les boissons fermentées qui repassent de main en main. On prend plaisir à ne contaminer que les blessés et les faibles…
Ceux qui sont aujourd’hui intacts le resteront ils tous, lorsque les fêtes seront finies?
            Maintenant, Monsieur le Maire m'exhorte à raconter encore une fois ce que j'ai vu de situations identiques, à Londres et ses Docks reconvertis, dans les cités affairistes de l'Asie qui grattent des cieux impassibles, au pied des Twin-Towers qui ne font plus qu’une. A Sao Paulo où des essaims d’hélicoptères partiellement blindés sautent d’un Condominium à l’autre, en se faufilant souplement entre les balles traçantes surgies des favelas.  Je cite de mémoire les cités oubliées de Chaldée et de l'Akkad affamées par la lente montée du sel dans leur terre trop irriguée. Je suggère l’exode des Mayas délaissant leurs pyramides. Et j’invite chacun à se moquer  de Venise, Venise qui a chaviré dans sa lagune, sous le poids des sicours amoureux, comme entraînée par  l’obésité de sa propre caricature.

            Ici au moins, on assiste fièrement au basculement de la vie entre la ville et la Centrale.   
  Dans les rues circulent des faux billets de recommandation autorisant à jouir du spectacle  et qui passent de main en main au gré du marché noir .

            On se complait dans cette projection futuriste des villes qui nous sont proches, Chacun devient  un voyageur. Monsieur le Maire nous paye fort bien pour la description que nous lui faisons des misères voisines. Dans la Salle des Fêtes, les invités cherchent à se protéger à l'ombre de Monsieur le Maire, qui boit de plus en plus vite des liquides de plus en plus chers. La favorite a un verre plein dans chaque main. On s'est assis sur le toit et les premiers corbeaux montent en bandes criardes depuis la ville.
            L'électrophone tourne, le ventilateur tourne, les turbines tournent dans la Centrale  alimentée en énergie  par les tonnes de documents abandonnés par la faillite universelle.
   La nuit a vieilli. Monsieur le Maire ne va pas tarder à s'écrouler sur un immense canapé italien, et c’est comme un plongeon  dans le vide,  sous les applaudissements.
            Un interrupteur s’ouvre, quelque part dans une des  pièces du gratte-ciel. La Centrale cesse de ronronner. Des lumières se rallument sur la ville. 
  Les corbeaux venus migrer ici se posent sur le dos des fêtards  et picorent à même leur crane les résidus de la fête.
            Chacun est revenu pour veiller sur l'image de la ville.
             

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