vendredi 8 novembre 2019

La vache à Gambon

  


 Charles -Ferdinand   Gambon  (1820-1887)  est né  à Bourges dans une famille républicaine Il perd ses parents très jeune  et est  élevé par sa grand-mère maternelle . Brillant esprit , il est reçu avocat à l’âge de seulement dix-neuf ans. Son premier poste est  juge suppléant à Cosne-sur-Loire, ... où il est suspendu dès 1847 pour avoir refusé notamment de porter un toast à Louis-Philippe. Pour lui, pas de Monarchie qui tienne, fût-elle constitutionnelle.
  Gambon est élu à l’assemblée constituante de la Deuxième République en 1848, comme représentant de la Nièvre.  Le 13 juin 1849 ,il  prend part  à la journée de révolte   contre la participation de l’armée française à la répression de la République de Rome. La manifestation tourne à l’émeute, la répression est terrible.. et l'échec retentissant . Gambon  a  parlementé pendant plusieurs heures, au faubourg Saint-Antoine, avec les insurgés, mais il n’est pas parvenu à faire cesser les combats.
   Le spectacle des massacres  causés par la troupe dans le feu de l'action influence longuement le jeune représentant de la Nièvre.
 En novembre 1849, à V Gambon  est condamné  à Versailles,  par la Haute Cour de justice à passer  dix ans en déportation, d'abord à Corte, en Corse , puis à Belle-Île. (il n'ira pas jusqu'à Alger)  Il revient dans sa région natale en 1859 , bénéficiant d'une loi d'amnistie, alors qu'il avait pratiquement fifni de purger sa peine.

      En 1868 , la troupe tire sur les mineurs grévistes  à la Ricamarie ( dans le bassin charbonnier de Saint Etienne ) et sur les cheminots du Paris-Orléans à Aubin , dans l'Aveyron, Charles Ferdinand Gambon , comme un signe de déobéissance civile,  refuse d’acquitter ses impôts, déclarant au percepteur:

"Je ne veux payer ni casse-têtes, ni chassepots (les fusils utilisés par la troupe. ndr) ; je laisse pour le compte de votre maître les provocations de Paris et le sang de La Ricamarie et d’Aubin. En payant, je deviendrais son complice" 

   Ses biens mobiliers sont donc saisis aussitôt,... y compris une vache et un veau, ce qui est contraire à la loi (le bétail n'est pas considéré comme un bien mobilier).... mais laissons le principal intéressé
 raconter l'histoire lui-même.



Le 18 décembre 1869. — Samedi.

        Cher ami,
Belle journée pour la démocratie! grand triomphe pour le droit! Je suis exécuté, il est vrai, dépouillé, mais fors l’honneur. À Sancerre, comme à Sury et Léré, pas un citoyen n’a voulu acheter mes meubles! pas un honnête homme n’a voulu se rendre complice et responsable d’une mauvaise action. Merci donc encore à mes concitoyens du Cher! Merci surtout pour notre cause. Mes meubles sont restés sous la halle! La vieille cité de la liberté religieuse a tenu à honneur de respecter la liberté politique.
 Voici ce qui s’est passé: Le percepteur de Léré, voyant que personne ne voulait acheter mes meubles, fit saisir et enlever mes bestiaux, contrairement à la loi. Et ce qu’il est bon que tout le monde sache, pas un voiturier de mon canton n’a voulu, même à prix d’or, transporter mon mobilier à Sancerre; on a été obligé d’envoyer une voiture de la sous-préfecture pour enlever le bagage, — meubles et bestiaux, le tout escorté par la gendarmerie. — Véritable razzia africaine au milieu de la France! Donc, à l’heure fixée, — heure de midi, — au grand étonnement de tous, j’étais sur la place du marché de Sancerre. Bientôt je vois arriver le cortège: je reconnais mes bestiaux, mes élèves, conduits par la police. Ite meæ, felix quondam pecus, ite capellaæ [Va, troupeau heureux]. Mon cœur d’agriculteur se gonfle et s’indigne, mais pas autant que celui de mon brave domestique et de sa petite fille, qui ont des larmes dans les yeux. Je m’avance. La foule s’attroupe et m’entoure; des amis du Cher et de la Nièvre me tendent la main.
— Ces bestiaux sont à vous, citoyen? me disent-ils; est-ce qu’ils sont à vendre?
— Non, citoyens, et je proteste contre la vente. Le gouvernement ni personne n’a le droit de s’en emparer. Je ne dois rien à qui opprime mon pays! 
 Un gendarme et quelques figures suspectes se rapprochent. Je demande un peu de silence et je continue:— Citoyens, je suis venu au milieu de vous pour protester contre la spoliation, comme je proteste contre toute violation du droit. Nul n’a le droit d’exiger l’impôt pour maintenir la servitude. Je déclare que quiconque vend ou achète mes meubles commet un recel et se rend l‘ennemi du peuple, et le complice du maître.
Tous alors s’approchèrent… pour me serrer la main; je leur donnai un numéro du Rappel que j’avais en poche, et les Soldats de Félix Pyat. Cher et bon ami, que tu aurais été heureux d’être là! et combien tu dois être fier de tes compatriotes!
Comme j’avais fait opposition au jugement de Sancerre, nous attendîmes quelques instants. Enfin le percepteur, qui n’avait point vendu mes meubles, arriva avec ses recors et garnisaires. Il commença pour la forme une adjudication; pas un citoyen honnête ne mit d’enchère, et les agents de l’administration, receleurs de mes bestiaux, durent s’en rendre adjudicataires. Mes vaches avaient été enlevées et escortées par la gendarmerie; elles seront mangées par la gendarmerie, c’est trop juste. Mais à bientôt les vaches maigres!
J’étais exécuté, — exécuté non en gros comme il y a vingt ans, à la déportation, mais en détail, et seulement dans la personne de mes bêtes — la première fois par les juges de Louis Bonaparte, la seconde par les recors et la gendarmerie.
Maintenant je suis satisfait; — la démonstration que je voulais faire est faite et parfaite. J’ai dit à la France: — Veux-tu être souveraine? — Eh bien! vote librement et sans abaissement.
Veux-tu mettre de côté et d’un seul coup despotisme, parasitisme et chassepots, ne paie point, refuse l’impôt. Et, comme cela devait être, j’ai fait ce que j’avais dit, j’ai donné l’exemple. Quand on a eu l’insigne honneur de représenter le peuple, quand on a été élevé au rang le plus haut qu’un homme puisse ambitionner, on n’a qu’un droit de plus: celui d’éclairer la route et de marcher le premier.
C’est à la France à dire si elle veut, si elle doit suivre cet exemple.
Qu’elle le sache bien, il n’y a pas de force contre la raison, pas de droit contre le droit, pas de volonté contre la volonté du peuple.
F. GAMBON


  Le journal "La Marseillaise" ouvre en janvier 1870  dans ses colonnes d’une souscription pour le rachat de la vache de Gambon., qui recueille de nombreux dons....et le chansonnier Paul Avenel fait une chanson de l'évènement.



LA VACHE À GAMBON

Air : de Calpigi.

Jadis, sous un roi despotique
Pour désigner un hérétique,
On s’écriait : c’est un Judas !
Il est de la vache à Colas, (bis)
Aujourd’hui, mes amis, pour dire
Qu’un français n’aime pas l’empire,
Nous avons un nouveau dicton :
Il est de la vache à Gambon. (bis)

Gambon trouvant que l’on abuse
Des droits du fisc, il se refuse
À payer tous les lourds impôts
Dont on nous frappe à tout propos, (bis)
Mais le peuple prenant à tâche
De lui rendre, à ses frais, la vache
Qu’on vendit devant sa maison :
Il est de la vache à Gambon. (bis)
Toutes les fois qu’un homme honnête
À l’arbitraire tiendra tête,
Un pouvoir fort et maladroit,
En vain contestera ce droit, (bis)

En lui voyant donner l’exemple
De chasser les vendeurs du temple,
Le Peuple dira : c’est un bon !
Il est de la vache à Gambon. (bis)

On a sur la place publique,
Des pantins comme en politique,
Équilibristes singuliers.
Mangeant à tous les râteliers. (bis)

Et voyez-en les conséquences.
Quoique donnant des espérances ;
On ne dit pas de Darimon .
Il est de la vache à Gambon. (bis)

Mais tout homme n’est pas à vendre :
Il ne s’agit que de le prendre
Dans les rangs des hommes de cœur
Qui ne vivent que pour l’honneur. (bis)

À Rochefort allez donc dire :
« Ralliez-vous au second empire. »
Rochefort vous répondra : Non.
Il est de la vache à Gambon. (bis)


  Cette chanson n'obtient pas, toutefois, le succès   que remporte, dans sa région d’origine , la version composée en Février 1870, par Zozime LARDILLIER un agriculteur cosnois, ami intime de Gambon . 

" LA VACHE A GAMBON 
(Air : BÉRENGER à l'ACADÉMIE) 
«   Venez, enfants, écouter une histoire  
D'une héroïne qui s'acquit un grand nom.  
Je vous en prie, gardez-en lu mémoire,  
Son nom sera gravé au PANTHÉON.  
Ne craignez rien, ell' n'est pas espagnole,  
Aux TUILERIES, ell' n'a jamais, dit-on, 
 Dansé, chanté, ni fait la cabriole, 
Car c'est la vache du Citoyen GAMBON ! (bis) 
Oh ! qu'elle est belle, que sa démarche est fière ! 
Dans ses grands yeux brille la LIBERTE

Un' main maudite a brisé sa carrière,  
Sa vie était toute à l'Humanité.
De ses mamell's découle en abondance
Un lait exquis, toujours pur, toujours bon.  
Accourez tous, Républicains de FRANCE,  
Venez, venez trair' la vache à GAMBON I (bis)
Lorsqu'un beau jour, ruminant à l'étable,
Elle entendit un bruit sourd et lointain : 
 L'on chass'potait des mineurs, c'est notable,  
A La RICAMARIE, puis à AUBIN.
« Pour empêcher ces boucheries humaines, 
 Ne payez plus aucun' contribution,
Gardez vos fils, votre argent, vos aubaines ».  
Ainsi disait la brav' vache à GAMBON ! (bis)
Il faut la voir, dans la vill' de SANCERRE,  
Comparaissant par-devant ses bourreaux :  
Un aigle cors' la tenait dans ses serres
Et la traitait 'd'ennemie des châteaux.
« C'est vrai,                je l' déclare en public,
Je suis I' prologu' de la RÉVOLUTION...   
Enfin je meurs pour notre RÉPUBLIQUE »...
Ainsi veut mourir la vache à GAMBON ! » (bis)
N'oublions pas ici sa fin tragique  
Qui consterna tout un pays entier.
On. lui souscrit un' couronne civique 
Pour que son nom soit immortalisé.
Elle a subi le mêm' sort que Tropmann,  
 Sans le secours d'aucun' religion.
Elle repoussa le dieu des soutanes,
Sachons mourir comm' la vache à GAMBON ! (bis)
A TOI, GAMBON, à TOI tous nos Hommages.   
Nous te voulons pour notre DÉPUTÉ.
Le Peuple, ici, t'accorde ses suffrages.
C'est pour défende nos Droits, nos Libertés.  
Républicain, Démocrat', Socialiste,
Pour nous, enfin, tu as tout sacrifié.
En te voyant, les intrigants pâlissent,
Ils sont indign's de nous représenter ! (bis)

      A partir de cette époque Gambon utilise pour sa correspondance privée  des cartes  sur lesquelles est reproduite par gravure l'arrestation de la vache. (la carte postale  publiée plus haut en est un avatar du temps de la photographie)
      En 1870 la guerre franco-prussienne  change l'ordre des priorités, Gambon s’engage  contre  le conflit  au cours de l’été., à mesure que les revers militaires de l'armée impériale se succèdent. Il arpente  les campagnes nivernaises pour tenter de républicaniser le pays et de lever une petite troupe pour monter sur Paris renverser Napoléon III.   Lors  d'une réunion un peu arrosée, l'enthousiasme le conduit même à proclamer la République à Arquian, le 17 août 1870, avant que les autorités civiles et militaires n'envoient deux compagnies du  85ème de Cosne faire cesser la rébellion.


  Gambon est élu député de Paris, le 8 février 1871, en pleine guerre, il démissionne et est élu à la Commune par le dixième arrondissement. Son nom apparait comme signatire de la dernière affiche placardée à Paris.



 Il réussit à échapper à la répression de la Commune : ses amis  le persuadent, au dernier moment, d’abandonner un combat perdu.. Il est probablement  caché à Paris  par un ancien fonctionnaire de la préfecture de police pendant  quelques semaines,avant de recevoir un faux passeport de ferblantier Belge qui lui permet  de passer en Suisse. Il va  y vivre jusqu’en 1880.
 Pendant ce temps, dans la  Nièvre, on s’en prend  à son entourage, dont l'ancien correspondant du journal interdit  La Réforme à Cosne, Asselineau, qui meurt incarcéré à Belle-ile en 1876

    Gambon, suivant son caractère, refuse l’amnistie, mais   revient  en France en 1880 avec pour tout bagage une petite valise, et partage son temps entre  Paris et  Cosne, chez la famille Poupet qui l'héberge. Il perdu sa propriété  de Sury-près-Léré, le fisc l'ayant saisie  pour  récupérer le montant des amendes impayées  par Gambon durant son exil suisse. Gambon  est député de la Nièvre entre 1882 et 1885 .Décèdé en 1887 à Cosne-sur -Loire, où il a un square à son nom ...ainsi  qu'une rue à Nevers   et dans le 20 ème arrondissement de Paris . 

2 commentaires:

  1. Merci pour cet intéressant éclairage sur une célébrité cosnoise. S'il a donc donné son nom au Square Gambon, il y a aussi une Rue des Frères Gambon; qui était donc ce frère?

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